Extraits

On ne sait pas bien quand le propre et le sale se sont séparés dans les sociétés et les consciences des hommes.

Quand est apparu le cadavre et la nécessité angoissée de l’ôter de la vue ? L’inhumation précéda Sapiens Sapiens.

L’art est une des plus anciennes pratiques pré-humaine et il est bien plus ancien que la monnaie dans laquelle rien en lui ne se convertit.

L’art est le sempiternel contemporain d’une séparation qui ne l’assujettit pas.

L’art est né avant que se solidifient les filiations disjonctives, arborescentes, entre homme et bête, social et asocial, ordre et désordre, paré et repoussant, céleste et infernal, vie et mort, forme et non-forme.

Le sacré, le malpropre, ce qui peut souiller, ce qu’on doit placer à part (ou dérober à la vue) sont mal distincts.

Le sacré n’a jamais été aussi omnipotent que dans les sociétés modernes. On ne s’est jamais à ce point séparé des cadavres, sang des mois, crachats, morves, urine, fèces, rots, croutes, poussière, boue.

Nous sommes tous des prêtres maniaques dans nos cuisines.

Nous sommes des tyrans fous dans nos salles de bains.

Il est difficile de dissocier les notions d’hygiène, de morale, de sacrifice, de pensée, de racisme, de guerre. Nous épions l’autre, le non-classifié social ou sensoriel, le parasite, la souris, la salive, le marginal, les habitants des interstices (les araignées et les mulots ou les scorpions ne sont jamais ni dedans ni dehors), les universitaire autodidactes, les mammifères poissons, les juifs chrétiens, les mères célibataires, l’eau non potable, les habitants des frontières qu’il s’agisse des territoires des pays ou des corps, le sperme, les épingles, les rognures d’ongles, la sueur, la glaire, les revenants, les phobies, les fantasmes (qui piratent le mur qui devrait séparer la veille du sommeil). L’art est une production parasitaire.

Celui qui fait surgir ce qui jusqu’à lui n’est pas appartient au règne de l’inapproprié. Il n’est pas à sa place. C’est la définition même de la saleté : Quelque chose n’est pas à sa place. Un soulier est propre sur le plancher. Il est sale pour peu qu’on le pose sur la nappe parmi les fleurs, l’argenterie et les verres alignés. ”

Extrait, Les Ombres errantes, Dernier Royaume, I